N°29 – avril 2023
Éditorial
Ce numéro 29 comporte une nouveauté. En effet, à la suite de la tenue de notre VIe Congrès international d’Actualité de la clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation et de la formation qui s’est déroulé les 14 et 15 octobre derniers à l’université Paris 8 St Denis, nous avons imaginé une nouvelle rubrique intitulée « Dialogue ». Ce congrès a été introduit par un dialogue instauré, à notre demande, entre deux de nos collègues psychanalystes, Jacqueline Godfrind et Jean-Pierre Lebrun, et a été accompagné par Laurence Gavarini et Patrick Geffard. Après une petite introduction de Claudine Blanchard-Laville, c’est la transcription de ce dialogue entre deux tenants de points de vue psychanalytiques différents qui vient inaugurer cette rubrique.
Avant cela, quatre articles de recherche ouvrent ce numéro.
Dans L’état de grâce du premier mois de cours de l’année scolaire : une incidence du rapport au savoir ?, Dominique Renauld s’intéresse à l’impact du rapport au savoir d’une professeure de philosophie sur l’évocation de sa pratique professionnelle. Partant de l’hypothèse selon laquelle, à travers l’acte d’enseigner, un professeur de philosophie s’exposerait à une certaine vulnérabilité psychique et après avoir précisé la notion de rapport au savoir, l’auteur reprend l’analyse d’un fragment d’entretien clinique à visée de recherche effectué au cours de sa thèse de doctorat. Il met ainsi en évidence l’incidence du rapport au savoir d’une enseignante sur la manière dont celle-ci décrit le premier mois de cours de l’année scolaire. Ce qui lui permet d’esquisser des pistes de réflexion relatives à une formation clinique des enseignants.
C’est à partir de son expérience de conseillère pédagogique que, dans son article L’épreuve de l’enseignement moral et civique à l’école – Romy, un sujet-professeure en tension entre instruire et éduquer, Séverine Fix-Lemaire a été conduite à questionner la manière dont l’enseignement moral et civique (EMC) à l’école primaire peut constituer une épreuve pour certains enseignants. En partant de la construction du « cas Romy », elle avance que la nature des savoirs mis en jeu dans cet enseignement, ainsi que leur mise en œuvre, peuvent provoquer chez certains professeurs des écoles une tension entre instruire et éduquer ; cette tension viendrait raviver un conflit psychique lié à l’écart entre leur système de valeurs et leur mission d’enseignement.
Lors de son expérience d’enseignante dans un Institut de formation en soin infirmier (IFSI) et de sa place de chercheuse en immersion au sein de cet institut, Nora Merniz s’est sentie interpellée à la suite d’un fait de « plagiat » auquel se sont livrés deux étudiants. Dans son texte Rapport au savoir : ratage du processus de subjectivation en formation soins infirmiers, elle propose deux interprétations de cet acte transgressif en prenant appui sur les concepts psychanalytiques d’identification et de Verleugnung. Elle avance ensuite comment le rapport au savoir de chaque étudiant est indissociablement lié au malentendu nodal entre la culture hospitalière et la formation et comment il interroge leurs désirs professionnels et leurs identités de soignants.
L’article Proposition de points de repères méthodologiques pour un entretien clinique de recherche d’orientation psychanalytique de Philippe Chaussecourte ne se présente pas à proprement parler comme un article de recherche. Il témoigne d’une riche expérience dans la transmission à des étudiants de la mise en œuvre de cette modalité de l’entretien clinique de recherche d’orientation psychanalytique dans le champ de l’éducation et de la formation. Il s’agit ainsi pour l’auteur d’expliciter très concrètement la manière d’utiliser cet outil, tout en insistant sur les spécificités de ce type d’entretien qui vise à investiguer des phénomènes psychiques insus des interviewés. Le texte est organisé selon un déroulé chronologique de l’exercice d’un tel entretien : ce à quoi il faut penser en amont de l’entretien, puis au moment de la conduite de l’entretien lui-même et enfin, comment on peut organiser le matériel récolté et comment il peut être analysé.
Après la rubrique « Dialogue », les lecteurs retrouveront à nouveau un écho du VIe Congrès international d’Actualité de la clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation et de la formation. La « conférence dialoguée » de Bernard Golse avec Claudine Blanchard-Laville et Bernard Pechberty a en effet été transcrite et nous la publions dans la rubrique « Entretien ».
Bernard Golse y retrace le parcours qui l’a mené vers la pédopsychiatrie – plus particulièrement en lien avec son histoire familiale – et ses affiliations en tant que psychanalyste très marqué par les rencontres successives avec Michel Soulé, Serge Lebovici et René Diatkine dont il dit que ce sont « trois personnages » qui l’« habitent en permanence ». Après avoir abordé la « question du lien » et l’importance de « la narrativité », B. Golse propose les contours de ce qu’il nomme avec Sylvain Missonnier « une métapsychologie périnatale ». Il fait part aussi dans cet entretien de son expérience avec des lycéens adolescents qu’il rencontre ponctuellement chaque année dans la classe d’une professeur d’histoire, Marie Biot, qui l’y accueille depuis de nombreuses années.
La rubrique « Reprises » comporte dans ce numéro-ci deux textes qui portent, chacun à sa façon, sur les relations qu’il est possible d’envisager entre l’œuvre de Freud et celle de Maria Montessori.
Pour le premier, Arnaud Dubois et Dominique Gelin proposent la traduction d’un article de Günther Bittner paru en 1989 dans l’ouvrage de B. Buchs & H.-P. Waltraud. (Hsrg.) intitulé Montessori-Pädagogik und die Erziehungsprobleme der Gegenwart. Dans son texte Maria Montessori et l’inconscient, l’auteur présente les liens qui existaient entre Maria Montessori et la psychanalyse, plus particulièrement entre la pédagogie Montessori et la pédagogie psychanalytique dans la Vienne de la première moitié du XXe siècle. Puis, après avoir présenté quelques idées de Maria Montessori sur l’inconscient, il expose certains points de convergence de ces idées avec des concepts psychanalytiques plus récents.
Pour le second texte, Laurence Gavarini propose la traduction de l’article de Paola Trabalzini intitulé Maria Montessori e i rapporti con Sigmund Freud publié en 2018 dans Annali di storia dell’educazione e delle istituzioni scolastiche, 25. La lecture de Maria Montessori et ses rapports avec Sigmund Freud permet de clarifier ce qui rapproche et ce qui différencie, voire oppose, les deux conceptions de l’enfant, l’enfant freudien et l’enfant montessorien, tous deux nés aux débuts du XXe siècle. En effet, même s’ils se séparent dans leurs conceptions respectives de l’inconscient de l’enfant, Freud et Montessori ont effectué un véritable travail de libération de l’enfance en mettant en lumière l’activité psychique et affective de l’enfant, ses pulsions et ses instincts.
Ce numéro se termine par deux recensions : celle de l’ouvrage de Florence Giust-Desprairies et Jocelyne Ajchenbaum, Histoires d’enseignants. Paroles croisées de deux générations, rédigée par Danielle Hans ; et celle du livre de Laurence Thouroude, Prévenir les handicaps et les violences : la posture de l’entre-deux en éducation, proposée par Esther Czuk Vel Ciuk et Françoise Bréant.
Enfin, la présentation de deux thèses, celle de Rachel Colombe intitulée Se caser ou bâtir un lieu à soi ? Enjeux de places et rapports de genre en Maison des Adolescents et celle d’Elisabeth Colay intitulée D’une langue à l’autre – Regard clinique sur l’enseignement de l’espagnol à des adolescents, puis les résumés des articles viennent clore ce numéro.
Bonne lecture,
Louis-Marie Bossard